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Chroniques d'immersion

Dernière mise à jour : 12 mai 2023

Le mois de Février s’achève sous un vent du nord cinglant et glacial.

Mars ouvre le 118ème jours d’une écriture aquatique et sincère...


J’ai débuté cette aventure en me retirant des réseaux sociaux, ne gardant que mon site et cette page. Il reste encore probablement quelques semaines avant que ne s’achève cette quête aquatique, avant que les eaux lacustres ne retrouvent des températures estivales. Pour une raison qui m’est encore étrangère je fais le choix de poursuivre dans l’ombre. Me retirer d’une visibilité déjà discrète.

Il y a un mélange de fuite, aussi de pudeur dans cette décision.

Probablement de la curiosité de visiter que je n’ai nul besoin d’une approbation extérieur pour poursuivre mes immersions.

Cette décision me rend fébrile, m’émeut aussi.

Mais je ressens intensément le besoin d’aller au bout de cette visite intérieur, de cette solitude qui parfois semble si cruelle.

J’espère de tout cœur que vous pourrez un jour prochain découvrir la fin de cette aventure dans les pages reliées d’un livre.

Et peut-être aussi les quelques images glanées quotidiennement dans un court métrage.

Milles merci pour votre soutient et votre assiduité.

A très vite...


NB ; Je vous laisse à la lecture quelques jours pèle mêle des mois écoulés.


Me baigner dans le lac durant les mois d’hiver pourrais être la résultante d’un caractère plutôt défiant, ou d’une volonté d’atteindre un état, des objectifs...

Pour une fois, il n’en est rien...

C’est un jeu auquel j’ai pris goût et qui de fait, perdure.

Je n’ai aucune connaissance sur le sujet, aucune attente, aucune envie de théoriser, aucun groupe à rejoindre, aucune envie d’un équipement quelconque.

Je me suis juste mise à écouter ma curiosité s’aiguiser au fur et à mesure que les semaines passent et ou j’examine mon corps s’adapter à cette immersion quasi quotidienne en milieu hostile.

J’observe aussi l’effet sur mon entourage...


Et alors je me suis dit ; Si je consignais mes ressentis physique, psychique, émotionnel, immatériel...

Et que je tenais un journal de bord de cette nage en eau froide ?!

Le blog est venu s’imposer comme le lieu de prédilection pour y déposer ce journal.

C’était comme un clin d’œil à moi-même. Une façon de me confronter avec humour à l’indifférence général. A la vie qui va beaucoup trop vite pour qu’un public se concentre à lire les aventures hivernal, froides et humides d’une maigrelette d’eau douce.

J’ai toujours été assez mal à l’aise avec le fait de devoir faire de la publicité pour ce blog, de devoir alimenter les réseaux sociaux. Poster une publication me fait grincer de l’intérieur, me fait me sentir étriquée, pas à ma place, exposée...

Comme si je me vendais pour quelques vues, et alors mes aventures intérieures perdent, même pour moi-même de leurs intérêts. Je veux rester solitaire, discrète, et acide (n’en déplaise). Et cultiver les secrets qui se méritent, les trésors cachés, les pépites dénichés.

Notre société nous pousse à vêtir des masques pour camoufler notre vraie nature, de sorte à ne laisser aucune fragilité surgir, aucune aspérité offerte à l'autre. Etre parfaitement lisse, pour un objectif perdu de vue depuis bien longtemps. Je trouve alors drôle et décalé d’afficher de mon essence sans artifice ni publicité aux yeux et aux vu de tous. J'aime le jeu des poupées Russe ou faire preuve de curiosité nous emmène à aller plus en profondeur, le tri qui s'effectue alors me réconcilie en partie avec le fait de "m'afficher".

Je retrouve le plaisir espiègle du partage et la singularité d'une écriture hétéroclite digne d'un cabinet de curiosité qui se joue de la critique et ça me plait beaucoup à dire vrai !



5 Novembre


Nager en cette période de l'année c'est avant tout se ré approprier une bienheureuse solitude.

Laisser partir en agitant une main malhonnête les derniers badauds d'une saison estivale qui s'éternise.

C'est une petite revanche que de pouvoir profiter entre nous de la plus chatoyante des saisons. Explorer ce sentiment grisant d'appartenance à un environnement sauvage et hostile. Un peu chauvine cette attitude, mais assez bien assumée...

Echanger sur le sujet avec mes congénères, c'est tomber d'accord; il ne nous reste que très peu de temps pour prendre un bol d'air avant que la vagues des monchus venant skier en jeans n'arrive.

Alors le lac en hiver devient un refuge, un pare-feu infranchissable pour les non avertis.

Ils le regarderons de loin, comme ils percevrons les sommets abruptes et intangible le surplombant, ils observerons ses eaux sombres et profondes, turquoises et translucides, selon l'inclinaison que la lumière du jour offrira, selon que le vent faseyera sa surface, mais ils resteront sur la berge.

Cette année je me suis jetée à l'eau, pour de vrai, pas juste une fois de temps en temps. Pas pour du semblant. Pas non plus pour des bienfaits lu dans un bouquins ou écrit par un mentor comme il en pleut par ici.

Je ne veux rien savoir, rien entendre de tout cela, juste vivre cette expérience.

Je veux juste continuer de ressentir la peur quand l'aube se lève et que je nage dans une eau sombre et glacé, d'être émue aux larmes par les gouttes de pluies qui perlent sur mon visage quand l'averse s'abat, d'éprouver la solitude des lieux comme une amie fidèle.

Garder tout cela jalousement, ne le partager que dans un chuchotement comme un secret d'alcôve.

Pourquoi... ?

La réponse est si vaste...

Et puis nous ne sommes qu'à l'aube de cette hiver, de cette expérience. Attendons, prenons le temps de faire connaissance.




Dimanche 13 Novembre

Une voix muette et souveraine c’est élevé depuis les contreforts qui tapissent les montagnes autour du lac pour annoncer la venue de l’hiver.

L’anthocyane a alors révélé ces pleins pouvoirs et les couleurs rougeoyantes des caducs sont apparues.

A l’été succède l’hiver comme au jour il succède la nuit.

Le Tao, révèle dans toutes choses la coexistence de son opposé. Au principe émetteur, un récepteur, à l’énergie d’action la passivité. Le flux de la vie sans cesse en quête d’un équilibre se meut dans une danse élastique de ce principe vieux comme le monde.

Baigner dans un milieu favorise notre imprégnation. Un peu comme des cornichons dans du vinaigre.

Il appartient à chacun de décider de sortir de son bocal, de sortir d’une imprégnation fermée, limité.

Je ne suis pas sûr d’avoir fait ce choix, ou peut-être qu’il était en filigrane de mon chemin de vie. Mais à fortiori j’ai pris une route qui m’invite à quitter ma programmation hermétique.

Qui m’invite à déchirer une toile, lever le voile, sortir de l’illusion.

C’est étrange et déstabilisant.

Pourquoi je vous parle de ça ?

Car cette expérience me plonge encore un peu plus dans ce constat, un peu plus profondément en moi. Elle me confronte aux changements qui s’opèrent, comme à ce qui a du mal à bouger.

En d’autres temps, je serais resté au chaud, je ne me serais jamais levée aux aurores pour aller m’immerger dans de l’eau à 13 degrés avant d’aller travailler.

Je n’aurais pas non plus exploré à la loupe les raisons des actions que je pose dans la matière.

Non je me serais trouvé des excuses, j’aurais prétexté que mon corps n’était pas assez résistant pour le froid, que mes actions étaient louables et dénuées de manipulation.




Vendredi 25 Novembre,

Eau 11,5 , Air 04 degrés

19 min de nage 🥳 2 bouées atteintes.


La température de l'eau chute vertigineusement ces derniers jours. Elle perds plus de deux degrés semaines. Les réactions de mon corps au contact de l'eau semblent bien plus fiable que la sonde de température de l'esplanade de saint Jo. Elle et moi avons environ 1 degré d'écart ces derniers jours...

Mon mental en fin stratège tente dans les premières minutes d'immersion d'interpréter les sensations de mon corps pour négocier une fuite, un repli. Mes phalanges gauche me font souffrir. Comment d'ailleurs de si minuscules os, de si petites articulations peuvent autant manifester leur désapprobation à la baignade?

Mon coeur s'accélère, tout mon corps picote. Les warning s'allument dans tous les sens. Alors pendant les quelques premières minutes s'ouvre un combat intérieur. Allez au bout ou abdiquer? C'est impressionnant d'observer comment le mental joue à la perfection sont rôle de limitateur de vie. D'une certaine façon il est là pour nous garder dans ce qu'il connait, dans sa programmation scolaire, lisse. Sortir de sa zone de confort, il déteste. Il crie au scandale, harangue des dangers, hurle à l'inconfort. Et franchement j'ai encore souvent envie de l'écouter et de rebrousser chemin. Sauf que j'ai compris maintenant comment échanger avec lui. Au départ je tentais de faire comme si je ne l'entendais pas. Alors il hurlait plus fort. Un peu comme un gosse qui fait un caprice. Et puis j'ai tenté de l'engueuler. Mais cette technique ne semblait pas plus efficace que la précédente. Il revenait à la charge avec encore plus de virulence. Je me suis alors dit qu'il avait probablement besoin d'être entendu. Et j'ai écouté ce qu'il avait à me dire. Il parle un langage fermé, conditionné, tiré des enseignements du passé ou de la projection qu'il porte sur l'avenir. Il tient souvent des propos délirants et il n'arrive pas à se stabiliser ici et maintenant lui non plus. Enfin surtout lui du coup. ;)

Alors j'écoute et j'observe avec attention toutes les pensées, craintes, sensations qu'il manifeste dans mon corps. Je respire à l'intérieur de cet inconfort, et je lui dit de ne pas s'inquiéter. Un peu comme si je le prennais dans mes bras pour lui faire un ptit câlin sur la tête histoire de l'apaiser et l'endormir. Et ça marche... Alors pas sur toute la séance. Parfois il me fait une dinguerie au niveau de la bouée, du style: "Et si on se faisait attaquer par un requin? Des piranhas? Le mental quoi...!

Parfaitement débile, mais maintenant il me fait sourire.

Alors aujourd'hui j'ai encore passé un cap. Le peu que j'avais entendue sur les techniques de nage en eau froide, c'était une minute par degré. Et puis je me suis rendu compte que j'avais écouter et appliqué cette méthode consciencieusement. Bon d'accord pas trop consciencieusement je déborde toujours...

Mais aujourd'hui la sensation était si agréable dans l'eau que je me suis demandé pourquoi je m'apprêtais à sortir. Bah une minute un degré... Le coquin!!! Il avait réussi à contourner les pares feu.

Bah pour ta peine; 11 degrés 19 min de nage!

Une séance euphorisante et aucune attaque de requin à déplorer ce jour!




Dimanche 27 Novembre

Eau 11 Degrés, Air 6

Nage 17min. Ressenti -1000,

Le manque de sommeil probablement.


Il m'arrive encore certains jours de nager sous l'eau malgré le froid. J'aime le jeu de l'apnée. Observer les yeux grands ouvert ce monde lacustre. Entendre le cliquetis étouffé de la chaines qui relie le bateau à son ancre. Et alors entendre ses propres chaines...

Nous utilisons des mots que nous accolons les uns aux autres de sorte à former des phrases.

Elles renferment une volonté d’élaborer et de transmettre l'essence d’une pensée.

Extraire de notre esprit une idée que nous souhaitons partager. Car il semblerait que nous soyons des êtres de communication.

La plupart du temps nous parvenons à faire passer le message souhaiter.

Et puis parfois, l’émotion liée à la parole étant aussi insondable que le plus abyssal des océans, le message envoyé ressemble à une énigme. Il harponne les tréfonds de notre être.

Ce sont rarement les grands discours qui viennent s’amarrer en nous. Mais plutôt une phrase simple, ne comportant que quelques mots anodins. Elle surgit sans passer par le cerveau, un peu comme un arc reflexe. Involontaire, rapide elle vient se lester en nous comme l’ancre d’un bateau dans les fonds marins.

« Je ne t’avais pas vu ». Au-delà des mots il y a la mélodie.

Elle est agréable et envoutante elle contient les mystères des profondeurs. Le chant d’une sirène. « Je ne t’avais pas vu » aussi captivante que maléfique.

Nous avons tous en nous une petite phrase qui nous colle à la peau comme un tatouage de marin, recrachant chaque jour son encre bleutée dans nos veines.

Alors j’écoute attentivement son chant, je pourrais l’écouter à en perdre la raison. Je pourrais me déposer sur le fond du lac et me laisser bercer par cette funeste mélodie.

Mais je sais que cette fois ci je l’écoute pour la dernière fois « je ne t’avais pas vu » mes poumons me brulent, j'ai enfin besoin d'air! Besoin de retrouver la surface.

Je grelotte sur le muret comme un animal traumatisé, mais vivant. Percevant enfin que cette phrase n'aura plus sur moi aucun pouvoir. Car à cet instant précis je me vois, entière et vivante, désirée et désirante.

Ce qui restera de cette phrase ne sera alors plus qu'une douce nostalgie.

"Apprendre à se délester et retrouver de la légèreté" voilà ce qu'il en restera.



Mardi 06 Décembre; 08H

-4 dans l'air, ça pique vraiment beaucoup, 10 degrés dans l'eau

Accompagnée.

Deux jours a être facilitatrice d'immersion.

Pas de nage aujourd'hui. 12min de barbotage

« J’avoue... J’ai eu un peu peur que tu sois une sirène et que tu m’entraines dans les profondeurs marine... »


Le bleu du ciel a un mal fou à percer derrière la grisaille.

Pourtant ils avaient dit qu'il ferait si beau aujourd'hui !

J'observe mais je ne comprends pas.

Pas de suite...

Accompagner l'immersion dans les eaux du lac en décembre, c'est faire preuve d'une vigilance accrue. C'est s'adapter aux contraintes qui ne sont pas siennes, mettre des mots sur chaque instant de l'expérience, alors qu'il n'y aurait rien a dire.

Cela me demande de sortir de ma bulle.

Je perds alors le flux, le cheminement qui m’a conduit ici. Un peu comme si je perdais la connexion. Il n’y plus les fils qui me liaient à cette voie aquatique.

Je mets quelques jours pour réaliser que l’équilibre fragile qui lie cette immersion et l’écriture prend sa source dans la solitude.

Pour moi elle est le pont entre mon univers et l'extérieur, elle est ma survie, ma compréhension du monde, de ses codes, de mes codes.

Elle est l’accesseur à un silence mélodieux qui s’installe à l’intérieur de moi. Celui qui joue une musique d’un instrument parfaitement accordé. Le son cristallin de l’âme qui s’exprime.

La moindre agitation de ma part, la moindre volonté de remettre un masque, une parure me fait perdre cette harmonie. Les notes sont alors grinçantes, la chanson ennuyeuse.

C’est très intéressant d’observer que certains partages, certaines actions, certaines rencontres, me projettent dans l’errance, me font perdre ma mélodie intérieure. J'enfile une personnalité, je raconte une histoire, qui me désaxe. J'ai mis un certain temps à comprendre les désaccords de cette minutieuse mécanique. La solitude semble alors être la situation parfaite pour retrouver l'axe qui me permet de vibrer de nouveau sur une fréquence qui ne soit pas dissonante.

J'ai longtemps eu le sentiment de la subir et de m'égratigner dessus. Comme si elle était une ronce et que je sortais blessée à son contact. Et si cette solitude était tendre, bienveillante ? Et que c'était nos projections sur elle qui nous égratigne ? Et si elle n’était qu’une loupe grossissante de nos peurs ? Si elle nous obligeait à nous faire face ?

Alors je me demande ;

« Quelle facette de nous s’active quand nous nous désaccordons au point de ne pas supporter de regarder en nous-même ? Quand nous acceptons de poursuivre des relations, des échanges, des situations qui font de nous des pantins.

Ne serais ce pas depuis cet endroit sur laquelle nous nous méprenons, que notre société valorise ? Cet égo qui s'agite, qui cultive des croyances bigotes. Cette partie qui se nourrit d’illusions, des ombres projetées ?

Et à qui nous prêtons les pouvoirs du cœur.

Mais que savons-nous vraiment des pouvoirs du cœur, nous qui ne pensons l’amour qu’au travers de nos peurs, de nos exigences. Nous qui ne vivons l’amour que dans le conditionnement.

En vérité comment nous serait-il possible de ressentir les vibrations du cœur pour l’autre alors que nous ne sommes pas capables les ressentir pour soi-même.


Les nuages s'effacent emportant certaines croyances et laissant apparaitre les bleus du ciel. Alors je réalise que ce que je croyais être bleu n'était en réalité que son reflet pâle et gris.

Et je retrouve les vibrations de la mélodie qui me relie aux mondes.

Résonne alors en moi ce chant magnétique que seul un marin saurait entendre !




Lundi 12 Décembre

0 degré, 8,9 Same same

12 min de nage dans les rayons du soleil

Les rayons du soleil traversent la surface translucide. Des centaines d’arcs en ciel chatouillent mes orteils en dansant. J’observe distraite, retardant mon immersion. Mes jambes trempent dans l’eau froide et ma poitrine est caressée par la chaleur d’hiver.

Je n’arrive plus à distinguer la sensation contradictoire entre le haut et le bas de mon corps.

La perception est agréable, douce, finalement assez neutre. Je ne ressens pas de douleur, pas de mal être, pas d’envie de sortir. Juste une torpeur dans laquelle je m’enfonce.

Équanimité !

Ça me fait sourire.

J’ai entendu plusieurs fois ce mots ces derniers temps, sans y prêter une grande attention.

Et puis ce matin je l’ai entendu de nouveau...

Mais c’est qui cet « équanime » dont tout le monde parle ?

Alors j’ai écouté plus attentivement, puis j’en ai lu une définition.

« Égalité d’âme d’humeur... »

Cette définition ne me parle pas. C’est encore un nouveau gros mot dans la longue liste non exhaustive du développement personnel ! Je sature de ces nouveaux concepts. Un peu comme quand on mange trop de chocolat à noël. D’autant plus que je n’aime pas le chocolat !

Bref, j’ai quand même écouté "Charlotte" parler d’équanimité...

« Sortir de la conscience de soi, de l’individualisation et rejoindre l’inconscience que nous avons de la conscience de l’unité » ...

...Tous les matins quelques cuillères au petit déjeuner...

Elle parle de basculer de la dualité à l’unité. En vrai l’idée est intéressante, mais confuse et très théorique. Jusqu’à ce qu’elle utilise une métaphore ;

« On peut décrire le chaud car on connait le froid. Dans la dualité on fait la distinction entre le chaud et le froid. Dans l’unité c’est le point zéro, c’est avoir conscience que le chaud et le froid n’existe pas. »

Et alors ce matin je souris. J’ai trouvé l’équanimité !

Je ressens le point zéro ! L’indifférence du chaud et du froid. Je nage dans la béatitude de l’unité.

C’est une façon bien organique de comprendre ce qui dans le fond n’est à ce jour pour moi qu’un concept. Mais je ris intérieurement. D’autant plus qu’elle n’a pas parlé de comment stabiliser cet état d’unité. Et que pour ma part, au bout de 12 min de bain dans l’unité à jouer la goutte d’eau qui se fond dans l’immensité de l’océan (le lac fini toujours par se jeter dans l'océan...). Je dois sortir mon corps qui lui est belle et bien dans la dualité d'avec le reste du monde. Et ce dernier va s’empresser de me rappeler dans l’heure à venir que je suis dissociable du monde qui m'entoure, et que le chaud et le froid sont tangibles dans mon quotidien.

En fait, je suis dans l'expérience inlassable et perpétuelle de mon incapacité à équilibrer le point zéro. Existe-il une clef à disposition pour que je puisse sortir de cette dualité?! Ou peut être devrais je attendre le printemps?

L'essentiel c'est que la perception de mes contours ne me fasse perdre ni mon envie, ni ce bonheur tous les jours renouvelée de cette drôle d'expérience!




Samedi 15 Décembre

1 degré accompagné d'une bise pas tant chaude qui vient claquer mes joues, 07,8 degrés dans les vagues.

10 min de nage en crabe, j'ai dérivé au sud souhaitant échapper à la houle...

4h de sommeil. Mon esprit est aussi brumeux que les reliquats vaporeux du liquide alcooleux qui émane de moi ce matin. ;)

HB Mag!

Et pourtant tout est facile ce matin, cet état flottant éloigne l’inconfort, la douleur. Fait céder les dernières résistances en moi.

Je suis étonnée de ne pas sentir les répercussions du manque de sommeil de cette nuit festive. Ou peut-être suis-je encore anesthésiée...

Il y a beaucoup d’agitation dans l’eau, dans l’air, mais tout est calme à l'intérieur.

L’eau est glacée mais mes extrémités ne semblent pas impactées.


Je suis la part féminine de ce tango improvisé. Je deviens l’ombre projetée sur la montagne, la lune au confins du ciel, le réceptacle de cette vie fragile. J’explore cette partie si peu développée en moi, qui échappe à la maitrise, qui accepte de se laisser guider aveuglement sur cette ligne de crête.

Je ne peux résister à cet appel, je ne fais pas le poids, j’ai trouvé plus fort, plus robuste et déterminé que moi.

Mon compagnon mène la danse avec fougue et virilité. Alors, je plonge à l’intérieur de ce duo lascif, de ce corps à corps sensuel, me laissant guider par ce partenaire sauvage et impitoyable.

J'aborde ma féminité, mes fragilités sans honte, m'abandonnant dans ses bras puissants.

Je sens monter en moi une énergie étrange, suave, pulsatile et rampante, nichée au cœur de ma colonne. M'intimant l'ordre de me mouvoir comme si j'appartenais au clan des nymphes.

Une énergie puissante, charnel.

De celles qui perdurent, qui s'épanouissent bien après la nage.




Jeudi 22 Décembre

Air 08, eau 08

Encore un jour à l'équilibre parfait.

12 min dans l'eau, un aller retour à la bouée blanche, sous les yeux de spectateurs ahuris.

Les minutes s’égrènent, je prends racine les jambes dans l’eau les pieds dans la vase, ballotée par les flots, je tangue. Je mets un temps infini à m’immerger. Ça me rassure d’avoir la possibilité de ressortir et de ne pas aller au bout de ma nage quotidienne.

Et aujourd’hui encore, poursuivre l’expérience résonne comme une petite victoire. Pas une victoire fière et qui fait bomber le torse. Mais un étonnement sans cesse renouvelé de parvenir à dépasser le mental. Plonger dans une respiration circulaire profonde, ou l’expiration recrache tous ce qui était cristallisé dans le corps et que le froid est venu décoller, comme on décolle le givre d'un pare brise. Cette respiration agit comme un catalyseur d’énergie.

Me voir ainsi recommencer et m'étonner chaque jour, impose à ma conscience une vérité brute et parfaitement hypnotique; Je ne suis plus la même personne.

J’ai toujours eu une tendance à être bornée, entêtée. Et franchement ne rien lâcher peut avoir certains avantages dans le monde que nous expérimentons. Ma rigidité me conférait le pouvoir d'être fiable et crains de beaucoup.

Les expériences de mon existences m’avaient apprise que je faisais bien de me montrer si retors. Je frôlais l’austérité, et mon monde intérieur était enfermé à double tours. Je vivais dans une forteresse imprenable. Que ce soit mon entourage familial, mes expériences dans le sport, l’art, mes relations, ou un cancer, tout avait aiguisé mon sens de la maitrise à la perfection. J’avais appris à manœuvrer pour faire plier.

J'aurais pu poursuivre cette vie de mignon tyran assez longtemps...

Sauf que voilà la vie en avait décider autrement.

Un jour elle a placé sur mon chemin la seule personne capable de faire écrouler mes remparts.

Le socle était déjà fortement fissuré, et peut être que n’importe qui d’autre aurait eu ce même rôle.

Mais mon instinct se plaît à penser que cette âme et la mienne ne sont pas si étrangère!

Ou juste il me plaît de croire à mon histoire. Au final qu’importe !

Alors le Yule d’hier je vous le conterais demain, mais aujourd’hui je voulais partager ma légèreté.

Ma reconnaissance pour ce parcours insensé. Pour cette rencontre un peu folle et si parfaitement orchestrée.

Tout les jours je replonge dans l'eau glacée, peut-être un peu pour ne pas oublier. Ne pas oublier que j'ai cru mourir, à chaque peau morte qui s'arrachait, à chaque intrication de cette polarité qui m'effrayait.

J'observe que quoi fut le vécue du jour, je ne retomberais ni dans la maitrise, ni dans l'effondrement. Juste je gouterais à la fluidité de l'instant, à la douceur du mouvement. A la découverte de la vie qui circule.

A rien...

C'est dingue n'est ce pas?!




1 er janvier 23

Température de l’eau 8,5, extérieur 08 en fin de journée.

Temps de nage 08 min



Je retrouve un peu de ma chère solitude alors que le soleil se couche sur cette première journée de l’année. La température chute drastiquement en même temps que la luminosité s’affaibli, faisant surgir l’humidité contenue derrière le moindre de mes pas.

L’endroit est calme, enfin déserté.

Les festivités sont passées. Les groupes marchant par petits tas, paraissant avoir été triés par codes couleur, famille, dress code ont disparus. Ces mêmes colonies entassées depuis des jours ensemble sous le même toit semblent s'être dissous. Chacun a retrouvé sa maison, son chemin.

Il reste cependant les stigmates de leurs passages amoncelés aux quatre coins de la plage dans des sacs de plastique noir et de bouteilles vides.

Bientôt il ne restera plus de trace. Je respire...

Et si tout cela n’était qu’un jeu ?

Imaginez un instant...

Souvenez-vous combien enfant vous vous extasiez devant l’immensité de ce qui nous entoure. Touchez du doigts à la vertigineuse sensation de ne pouvoir mettre de limite au monde.

Et si par souci de ne pas sombrer dans le vide nous nous étions repliés derrière des frontières construites par nos soins ?

Et si finalement les entraves de nos vies n’étaient que les règles de notre propre jeu. S’ils étaient la manifestation de nos propres pensées ?

Restez un instant dans cette idée, observez là...

La première règle du jeu de la vie incarnée serait alors d’oublier que rien n’est vrai, que rien n’existe plus dans la matière que dans l’indicible, que séparer le bien du mal n’a aucun sens.

Je ne crois pas avoir envie de soulever un débat en vous proposant cette image, cette sensation. Non car alors nous repartirions dans ce que la vie fausse en nous et nous intime à nous séparer du reste du monde.

Cela reviendrait à accepter que tout nous échappe, que nous ne sommes que des pions sur un échiquier et que, de fait, les règles ne nous appartiennent pas.

Mais aujourd’hui, en cette première journée de l’année. Cette journée ou il est coutume de faire des vœux, de dresser une liste de nos désirs.

J’observe ma vie et je me dis qu’un truc échappe à ma conscience...

A mesure que je rentre dans l’eau, je me dis que le voile arraché m’offre de percevoir des failles dans mon système de croyance.

Apparaissent des flashs en noir et blanc extrait d’une vieille bande enregistrée. Je n’arrive pas à fixer la sensation, l’image. Je force ma vision par-delà les montagnes, comme si la nature détenait la clef.

Mais je jour décline si vite qu’il emporte mon pressentiment dans les recoins sombres des eaux grises. Je garde précieusement l’excitation que suscite cette pensée. Je sais que je vais retourner l’explorer. Que je vais continuer de gratter avec ma petite cuillère les murs de cette prison. Déjà apparaissent quelques rayons depuis l’extérieur.

Il me reste à vous souhaiter de vous joindre à ma folie.

D’observer les règles de votre propre jeu, d’apprendre à en changer les règles. Peut-être même de changer de jeu !

Pour finir je vais rebondir sur une réflexion de l’enfant. (Qui lui semble creuser sa prison à coup de pioche...).

Je râle, comme souvent, en lui disant que j’en ai quand même un peu bavé dans la vie.

« Il y a un proverbe africain qui dis en substance que si tu demandes à être fort dans la vie, tu obtiendras les épreuves qui te feront devenir fort, tu ne deviendras pas fort comme ça par enchantement. Alors observe juste que ta vie est parfaite est que tu as obtenue absolument tout ce que tu as toujours voulu... Élève ta conscience et dis-toi que tout est un jeu !»

Je me souviens alors des mon premier voeu d'enfant... J'étais un peu roublarde déjà à l'époque et avant d'énoncer mon désir j'avais longuement réfléchi. Faire un voeu qui regroupe tout! Econome et efficace. Comme si n'en faire qu'un était une promesse de sagesse et qu'alors il ne pourrait que se réaliser...

"Etre heureuse..."




Lundi 09 Janvier

Air 04 degrés la neige descend le long des montagnes. Eau 07 degrés

15 min dans l'eau et un tour de la bouée jaune que je ne suis pas prête d'oublier!

Le lac affiche 8 degrés depuis le 17 décembre. La température de l’air oscille peu et ne descend pas en dessous de zéro.

Je me suis endormie dans le confort douillet de l’habitude et de l’aisance, à barboter quelques 10 min quotidiennes sur les bords de plage dans une eau froide, mais à laquelle je me suis habituée. Ce qui fut difficile les premières semaines était de s'acclimater à une dégringolade rapide des températures. Depuis quelques trois semaines la situation tend à stagner.

J’ai de moins en moins froid en sortant après mes ablutions. Et de plus en plus chaud le reste de la journée.

J’aurais dû me méfier de mon caractère combatif et de ses coup d'état. J’aime à le nier et à jouer les enfants sages.

Mais aujourd’hui il en a eu assez de tourner en rond sur les berges.

Et du coup il a dégoupillé une grenade…


Les températures chutent enfin! En même temps que quelques flocons dansent juste au-dessus saupoudrant les forêts qui entourent le lac.

Je me mets à l’eau sous une pluie fine de neige fondue.

Mon inconscient avait vu venir la mésaventure qui allait suivre et m'avait m’obligé à porter un maillot manche longue. Ça devait le rassurer mais cela ne fera que peu de différence à mon sens. Enfin on ne saura jamais et c’est tant mieux.

Je me mets à l'eau et il me faut quelques instants avant de me lancer à l’assaut de la zone de démarcation qui se trouve au tiers de la distance qui mène à la bouée jaune.

Et là allez savoir… un rayon de soleil qui perce d'entre les nuages, un excès de confiance, un shoot d'adrénaline. Je me vois hypnotisée, poursuivant ma nage en direction de la bouée jaune.

Je crois qu’en cet instant rien, ni personne n’aurait pu me résonner.

Easy !!!! Je respire avec amplitude. Je n’ai pas froid, ma nage est fluide.

Arrive le moment du check à la bouée, et du volt face pour amorcer le retour…

Et là…Je réalise ma bévue. La berge parait si loin qu’il me semble impossible de pouvoir tenir encore assez longtemps dans l’eau froide pour tenter de la rejoindre.

Je viens de commettre l’erreur du débutant. Et je me vois au milieu du lac dans une eau à 7 degrés avec mon maillot de princesse et la neige fondue qui redouble d’intensité.

Va s’en suivre 6 minutes à la fois interminables et si denses. Je suis prise d’une crise de panique comme je n’en ai jamais vécu. Pas une crise irrationnelle d’un mental trop fantasque qui prédit une probable attaque de requin. Nan, une vraie prise de conscience du danger qui rode. De l’impossibilité de faire une pause. De l’ignorance de ce que mon corps est encore capable d’endurer avant de ralentir et de tomber dans une hypothermie sévère. J'entraperçois la possibilité de faire un arrêt cardiaque.

J’ai peur et je ne vois pas d'autre alternative que de nager. Mon cœur à décider de manifester mon inquiétude en accélérant beaucoup trop. Je tente de le réguler avec une respiration ample, mais bien sûr c’est dans ces moment-là que je vais boire la tasse. Histoire de rajouter un peu de suspens à ces minutes laborieuses. Mon essoufflement finit par me bruler la gorge.

Sincèrement, j’ai pensé à la probabilité de mourir. Et en soi c'était surtout l'aversion pour l'idée de mourir asphyxiée qui prenait le dessus. Je vous promet qu’en 6 min vous avez le temps de penser à des trucs encensé. Je n'ai pas vu ma vie défiler mais j'ai eu tous le loisir d'observer la stupidité de la situation. Au delà de l'effroi, je me suis mise à enrager contre moi-même.

Arrivé avant la zone de démarcation j'ai senti mes mouvements ralentir imperceptiblement en même temps que ma tête me tournait légèrement.

Je n’avais plus beaucoup de distance à parcourir pour pouvoir poser un pied au sol. Mon cœur s'est apaisé, le temps de terminer ma course j'étais sonnée.

J’ai versé quelques larmes acides et rageuses, histoire de ne pas cristalliser l’incident.

Et puis je suis retourné dans l’heure sur les bords de la plage. Pas pour me tremper, non. Juste pour ne pas garder de rancune, pour conserver l'envie, dissoudre le malentendu. C'est le chien qui a pâti de la situation. Elle c'est vu jetée à l'eau et savonnée pour s'être roulée dans une charogne putride. Et là, il y avait une bouée jaune échouée sur le bord du ponton. Comme un clin d'oeil pour le jour ou j'aurais la nostalgie de toucher du doigts le soleil avant le retour des beaux jours.


Au final cette crise était une manifestation de tas de fantasmes. Une méconnaissance des limites de mon corps et trop de temps à écouter les craintes, les limites et les peurs environnantes. Cela dit mon action de nager aussi loin était stupide. Je nage seule et sans bouée et ça ne risque pas de changer. Cependant j’entends la leçon de rester à nager sur la longueur de la plage. Même si je trouve que c’est chiant à mourir...





Mardi 17 Janvier

01 degré sous une averse de coton duveteux. 05 Degrés à peine dans les eaux grises

Quelques minutes de patauge en rentrant de garde et avant une nuit diurne bien méritée


« C’est kafkaien, j’ai une explication pour tout mais je ne peux pas te la donner. Je suis un type qui a rendez-vous avec un copain de l’autre côté d’un fleuve et qui devrait le traverser à la nage pour aller expliquer à son pote qu’il ne peut pas le rejoindre parce qu’il ne sait pas nager »

Le BIP du message résonne alors même que je m’apprête à me jeter à l’eau.

J’oscille entre fou rire et colère. L’instabilité émotionnelle des matins d’après garde. J’opte finalement pour un sourire radieux en me glissant dans les eaux froides.

User d'une telle métaphore, avec moi... Là ce matin? C'était un choix osé!

Je répondrais plus tard, par un message en image, insolent. Accompagnée d’une proposition de cours de natation... Une façon de chahuter cette chère tête blonde !

Car à dire vrai, il y a méprise ! Je ne suis pas un souvenir sous une cloche, je suis une personne. Je ne suis pas sur la rive d’en face, je suis dans le flux de ce fleuve. J’ai quitté le confort douillet de la berge, abandonnant stabilité et aisance. J’ai plongé en fille d'Eve, nue dans les affres de l’inconnu.

La frontière entre le rêve est la réalité est souvent ténu.

Elle est une rivière translucide et discrète qui reflète dans son lit, nos rêves, nos fantasmes.

Elle est cette rive solitaire que l’on aborde, nous asseyant non loin de ses eaux vives, adosser contre un arbre observant dans ce miroir ce qui nous semblerait si doux à toucher du bout des doigts, à serrer contre soi.

J’ai souvent souhaité que se manifeste mes rêves. Qu’ils prennent forme là devant moi comme par magie. Qu’ils viennent me cueillir sur ma rive, sans que je n’aie rien d’autre à faire que de les désirer très fort.

Et la magie existe, elle est bien réelle, tangible. Elle danse tout autour de nous. Mais il y a une chose sur laquelle nous nous méprenons. C’est qu’à aucun moment elle ne viendra nous prendre par la main tant que nous nous économiserons à attendre sur la rive. Jamais elle ne nous offrira sa féerie si nous ne sautons pas dans la source de ce qui nous anime.


Pour ce qui est de se jeter à l’eau, je suis très premier degré ces derniers temps. Alors ce matin je me suis dépouillée de mes oripeaux et jetée dans les eaux glacées sous une avalanche de cotillons immaculés.

Une baignade aux allures de fêtes.

Et comme toutes manifestations enchanteresses se frottant à l’expérience. La beauté du réel contient sa part brute, acérée. La neige n’épargnera pas de bruler ma voute plantaire et de dégouliner le long de ma nuque. Le froid si intense constrictera mes extrémités engourdissant mes doigts jusqu’aux larmes.

Peut-être que c’est ça finalement qui distingue le rêve de la réalité. Quand l’expérience traverse le corps et le réveil de sa léthargie.

J'ai mis un fichu temps à me réveiller, mais aujourd'hui je regarde ébahie, émue le spectacle qui m’entoure, les doigts agrippées autour de ma tasse fumante.

Aujourd'hui je suis une apprentis magicienne. Circé se laissant traverser par les instants de grâce avec bonheur. J'ai recouvré la vision de ce qui ne ce voit pas, de ce qui ne possède aucun mot pour être décrit.

Et qui se frotte au réel comme une paume de main sur la lampe d'Aladin.





Samedi 21 Janvier

On garde les -4 +4 aussi les gants, on rajoute un vent du nord glacial

On obtient 10 min de trempette nage


Les deux pieds dans la neige, je suis traversée par une pensée. Elle danse sur la ligne de crête enneigée. Je reste un instant à m’imprégner de la densité de l’instant, du silence.

Avez-vous déjà ressenti ça ? Cette émotion contenue dans quelques secondes éphémères. De celles qui viendront s’accrocher à vous et qui resurgiront depuis les tréfonds de votre inconscient de façon impromptue. Offrant une boucle temporelle qui vient inscrire son empreinte sur un point de détail, reconnaissable, perceptible. Il réveillera ce souvenir de votre mémoire de façon inopinée. A un feu rouge, un rendez-vous à la banque. La résurgence de cette pensée intense consolidée dans le silence. Un réflexe pavlovien de l’émotion.


Je suis seule, je me suis isolée. C’est une bénédiction.

Il m’arrive parfois d’avoir un soubresaut accompagné d’une volonté de retourner dans l’air du temps. De rejoindre le flux virtuel.

Mais je dois reconnaitre l’évidence, je ne suis pas prête. L’idée de me reconnecter m’oppresse.

J’ai encore besoin d’un peu de temps. Peut-être je ne reviendrais jamais d'ailleurs ...

J’ai besoin de laisser l’eau faire son travail. Alors je lui laisse toute la place.

Pénétrer son antre ces jours derniers est pareil à l’épreuve du feu.

Elle teste ma résistance. Celle du métal qui finit par rompre poussée dans les retranchements de son élasticité. Celle de la plasticité, de la souplesse, de l’abandon.

Chaque jour je revis le même scénario. Dès mon arrivé sur la plage mon mental me souffle qu’il est inutile de poursuivre.

« C’est chouette ce que tu as fait jusque-là. Alors à quoi bon poursuivre, fais demi-tour ! »

Mes pieds sont glacés dès les premiers instants d’immersion, mes jambes brulent pendant de longues minutes.

Le mental revient à la charge

« C’est déjà bien quelques minutes jusqu’à la taille, sors maintenant ! »

Mes épaules se crispent, le vent s’en mêle.

La moindre volonté d’opposer une résistance au mental lui donnera gain de cause. Me fera abdiquer, me brisera. M’encoublera dans la colère dans le dépit.

Je laisse retomber mes épaules, j’observe sans lutter les sensations dans mon corps.

Je sais à cet instant que j’ai gagné. J’entame ma nage et tous s’envole.

La résistance prend une autre forme. Celle de lâcher la résistance. Ce fameux lâcher prise, si souvent vendu en tête de gondole des meilleures librairies.

Le saint graal !

Il est là... Simplement devant moi. Dans une quête fragile qui chaque jour se renouvèle.

Souvent les larmes me viennent. J’en aurais versé ces dernières années !

Elles font probablement partie du jeu ! Elles sont l’émotion qui nait de se voir se confondre avec la musique si intense de la nature. Se sentir appartenir au décor.

Je suis une aventurière, une aventurière du quartier !

Car à dire vrai mon aventure est simple. Je n’ai besoin d’aucun matériel, non plus d’aller au bout du monde. Juste je visite ce qui est sous mon nez.

Et pourtant je vais si loin...





6 Février

8 degrés, le soleil baigne la rive d'en face et toujours un petit vent frais dans ma face, 05 degrés dans l'eau

13 mins à draguer les fonds lacustre avec mes petites mains gantées, et puis quelques brasses aussi.

J'en avait marre de le voir ce moellon!


Il me gâchait le décor. Mon plaisir visuel était amoindri par ce moellon de chantier.

L’enlever m’a couté la couture d’un gant. Il a failli me couter un pied aussi. Tellement costaude des biscotos ...

C’est drôle quand on y pense. Comment un moellon de chantier à bien pu se retrouver sur ce bord de plage. Vu le poids qu’il pèse, il n’a guère pu flotter et s’échouer sur la plage secrète pour y trouver refuge. Et il était bien trop près du bord pour qu'un quelconque suicidé s’y soit harnaché de désespoir au bout d’une corde. En tous les cas, quel que soit son histoire, il n’est pas le bienvenu dans la mienne. Si ce n’est pour me rappeler combien la sécurité de ma bulle dépend de mon isolement, de ma solitude.


Les objets en soi n’ont de valeur que celle qu’on leur appose. En en dehors de me rappeler qu’il s’apparente à un pavé dans la mare. Il me rappelle des souvenirs très étranges d’une terre hantée par des millénaires de traditions animiste vaudou. Il me rappelle mes premiers pas hors de ma zone de confort, hors de tous mes référentiels. Il fut un voyage qui ouvrit mon esprit avec la violence d’une fracture du crâne. Au sens propre comme au sens figuré. Des moellons ils en jonchaient le sol par milliers. Ils étaient tombés quand la terre enragée avait fait trembler cette ile paradisiaque des caraïbes. Emprisonnant et anéantissant des milliers d’êtres humains, d’animaux. Par endroits l’odeur putride des corps en décompositions saturait l’air tropical. Le paysage était une alternance perpétuelle de paysages à couper le souffle. Une alternance du beauté et d’horreur. J’étais venu côtoyer l’enfer au cœur du paradis.


Le moellon, celui qui a marqué ma mémoire, je l’avais vu s’abattre avec violence et rage sur la tête d’un homme. Une bagarre de pleine journée dans une rue bondée. Une sombre dispute à propos d’un tuk-tuk avait éclatée. Ici aucune menace n’est une parole en l’air. Alors le plus prompt des deux à réagir avait asséné un coup fatal à son adversaire avec cet objet contendant. J’ai vu l’homme s’écrouler sur lui-même, au milieu de cette route embouteillée. J’ai senti la main du chauffeur de mon équipe mobile agripper mon bras d’un geste brusque. Un réflexe de protection, il savait que je risquais de ne pas réfléchir et de sortir de notre véhicule. J’entends encore sa voix, il me hurle de ne pas regarder, de tourner la tête. J’avais entendu la peur dans sa voix, une forme de désespoir aussi.

« Si on voit regarder la blanche, ils vont nous tirer dessus. »

Alors j’ai détourné la tête. Laissant derrière moi, ce règlement de compte. Je n’ai versé aucune larme, nourris aucun traumatisme en surface, exprimé aucune émotion. Et à l’intérieur s’ouvrait en moi une brèche que je visite depuis régulièrement. Un monde où se mélange le bien le mal, l’enfer le paradis sans que jamais aucun ne prenne le dessus sur l’autre. Sans qu’aucun n’existe dissocié de l’autre finalement. Un espace de rien, de tout.

Le plus choquant dans cette histoire fût d’accepter que j’aimais le lieu, que je m’étais habituée à l’atmosphère sans en tirer aucune éraflure visible. J’avais développé avec une vitesse déconcertante une capacité d’adaptation à ce milieu aux antipodes du monde qui m’avait vu grandir.


Alors un gant, un pied, ce n’est finalement pas bien cher payé, tant il était hors de question qu’il y ait un pavé dans la mare de ma plage secrète, de mes immersions quotidiennes. Aucune ombre au tableau n’était autorisée à se profiler dans cet intime odyssée. Je n'offrirai à personne le pouvoir de venir troubler la quiétude de ma quête sans quoi elle pourrait bien servir cette brique. Rien qui ne fut touché de près de loin par la main de l’homme n’a sa place dans cette aventure.

Je suis une aventurière sur une ile déserte. Loin du tohubohu de la ville, des interactions humaines. J’ai besoin de reprendre mon souffle, de respirer à plein poumons sans crainte, sans peur, pas d'autrui. Mais bien de moi même.

Vous pensez que c’est une fuite ?!

Sans doute un peu. Mais je crois dans le fond c’est l’occasion de me laisser glisser pleinement dans cette faille qui s’est ouverte en moi et d’aller visiter le cœur de ce sentiment. De ce néant, ce rien ou il y a tout. Cet état si particulier ou s’entremêle la lumière et l’obscurité dans une parfaite harmonie. J’en arrive à penser que peut-être j’ai toujours eu cette fêlure en moi. Cette capacité à aller dans les entrailles de la terre. Qu’elle était innée et que je tentais de feindre une pseudo compassion pour l’humain. Enfant déjà j’éprouvais ce que je croyais être absence de sentiment. J’étais impassible devant l’adversité. J’observais crispée les manifestations maternelles méditerranéenne. Je vivais des émotions incroyables au contact de la nature, des animaux, et si peu avec mes semblables qu’il me semblait appartenir à un autre monde. Je pensais n’être pas normal alors j’imitais sans grande convictions les pleurnicheries, les lamentations. Et puis j’ai oublié, j’ai recouvert la fissure de mièvreries, de bons sentiments. D’une chanson grinçante et fausse à laquelle je ne croyais pas mais qui m’épargnais de passer pour une fille à la sensibilité d’un parpaing. Même si je doute avoir réellement donné le change.

Un séisme intérieur d’une magnitude jamais encore enregistré est venu me frapper il y a peu. La faille c’est ré ouverte dans un grondement et une douleur animique, faisant voler en éclat les couches superficiels de qui je ne suis pas... Enfin !

A la condition d'être prête à accueillir qu'il y a en soi des parts sombres autant que lumineuses. Et à dire vrai, ce qui est le plus difficile à avouer et de constater que j'ai autant d'affection pour l'ange que pour le tyran en moi. J'aime le sombre au moins autant que la lumière.





Mercredi 08 Février

05 degrés air et eau confondues

12min dans l'eau dont 08 de nage

Puis ... Une deuxième session entre copines

6 min et une bouée jaune contournée.

Mon visage baigné par le soleil levant se reflète sur le fond noir de mon ordinateur.

Je fais des grimaces, m’examine sous toutes les coutures, peu convaincue de l’image que je renvois. Assurément je ne suis pas face à un top model...

Et j’ai 46 ans ...

Ça veut dire quoi être un top model d’ailleurs ?

Dès lors que j’ai cette petite conversation intérieur et intime il y a une multitude de sujet qui s’entrechoque en moi.

Des ressemblances heureuses avec des traits que j’affectionne comme la clarté singulière de mon iris ou toutes les couleurs possibles s’y reflète, les discrets reflets auburn de mes cheveux promesses d’une origine berbère pas si lointaine.

Aux stigmates tatoués sur ce visage, marqué par une vie qui déroule sa partie à une vitesse folle. Si folle qu’en observant mes traits il me semble que des années m’ont été volées. Une décennie je dirais !

Une décennie passée à vivre à côté de moi-même.

Le remarquer ne changera pas l’histoire... Cela ne rendra pas plus ce chapelet d’année, ni à ma vie, ni à mon visage.

Alors j’ai conscience de la fragilité avec laquelle je considère mon reflet. Il est plus vulnérable que l’intérieur, c’est drôle. Je ne lui ai jamais collé d’artifice pour tenter de changer son aspect ! Une chance...

Je crois que j’aimerais apprendre à le regarder avec plus de douceur et de bienveillance.

Et j’espère que cette aventure m’ouvrira aussi cette porte !

Le soleil baigne la plage déserte ce matin. Je suis seule dans ce petit monde, parfois j’aimerais m’y noyer. Me laisser fondre dans cette nature si belle.

C’est quoi le beau ?

Une courbe parfaite, un visage lisse sans ride, sans aspérité ? Des cheveux soyeux, sans aucun fils argenté ?

La beauté de la nature est contenue dans l’énergie qu’elle diffuse. Ce qui la rends belle c’est ce fascinant mélange de force, de faiblesses. Sa faculté à marquer avec rudesse certains éléments. L’écorce tourmentée et rugueuse du chêne plusieurs fois centenaires. La froideur acérée et polie de la roche qui s’élève millimètre par millimètre depuis des millénaires au-dessus de l’étendu azur.

Le temps... C’est le temps qui rend la nature si belle.

Le temps condense l’énergie de cette beauté. Aussi car elle vie. Elle expose ses fragilités aux quatre vents, sans craintes, sans fausse pudeur.

Elle vient alors toucher en moi cette vulnérabilité de femme qui trop souvent ne s’assume pas.

Elle ravive en moi une nostalgie, une tristesse. Cette prise de conscience de plus en plus prégnante d’avoir passé tellement d’années à coté de ma vie, à coté de mon identité de femme. Ce léger pincement au cœur, cette légère amertume du temps qui s’écoule et que l’on ne peut retenir, de nos regrets, de nos désirs cachés, de nos fuites.

Je me console un peu en me disant que c’est une chance d’avoir devant soi du chemin et de belles années pour avancer et assumer la femme que je suis. Et puis je crois que sur ce chemin je ne suis pas seule...

Inondées par la joie des bleues du ciel...






Vendredi 17 Février

16 degrés, 06 dans l'eau

Juste les jambes, car elles sont lourdes et je suis fatiguée.

Le niveau de l’eau est remonté un peu... Le flux s’empare de nouveau des eaux claires du lac.

J’ai la chance d’avoir dans mon entourage un passionné de la géologie des sols, de limnologie, d’ichtyologie...

Un savant fou qui nous prévient des périodes de reproductions, de la remonter des truites dans le Laudon. Aussi celui qui nous enjoint à pisser dans le lac et y jeter nos pelures pour enrichir ce dernier de minéraux. Assez siphonné pour nous faire faire du surf tracté par les vélos ou sa barque de pêche, ou nous apprendre à réaliser un salto arrière sur le bord de ladite embarcation ou d’un ponton...

Inutile de vous dire qu’il est ravi que je lui demande des explications sur les répercussions de cet hiver si doux et si peu humide sur notre terrain de jeu favori.

J’apprends ainsi que le flux des eaux sont contrôlées par une vanne au niveau du Thiou, aussi par le canal du Vassais. Et puis il m’explique ;


« Ce n’est pas si grave que le niveau du lac baisse ! Le marnage, le fait que le niveau du lac monte et descende, c’est très bon pour les roselières, dans la mesure où s’il reste au même niveau les vagues des bateaux vont toujours taper au même endroit sur les roseaux et ça va les casser, alors qu’une variation de hauteur d’eau va permettre de renforcer les tiges, et donc préserver et participer à la densité des roselières qui sont des niches écologiques. »

Ce qui est plus ennuyeux pour lui est en lien avec les températures bien trop douces pour la saison. La douceur empêche le refroidissement des eaux superficielles. Les eaux devraient se refroidir pendant une longue période aux alentours de quatre degré, température à laquelle l’eau présente sa densité maximale. Une histoire d’agitation de molécules...

A ce moment le vent pourra alors mélanger les eaux superficielles aux eaux profondes qui elles aussi sont à quatre degrés. Oxygénant ainsi les omblières du fond du lac. Mobilisant les minéraux accumulés en surface et dans les sols du lac afin qu’ils puissent être utilisé par le phytoplancton, et tout le reste du réseau trophique.

Notre lac ainsi que nos nappes phréatiques, sont entourés de sommets enneigés bénéficiant d’un régime nival, les eaux de fonte des neiges. Depuis quelques années et particulièrement ces deux dernières années les neiges se font rares, et les températures trop douces participent à la détérioration du régime glaciaire.

La source principale du lac est souterraine et se situe au large des marquisats, elle provient de failles d’infiltrations du Semnoz. L’eau descend rapidement dans le karst, n’ayant aucunement le temps de rencontrer de polluants, ni de se charger en minéraux. Cela donne une eau particulièrement douce, sans nitrates sans phosphates, un poil oligotrophe.

« Pas assez d’oligoéléments pour participer au développement du phytoplancton, donc du zooplancton, donc du planctonophage, donc des poissons. On se retrouve avec un appauvrissement de la biomasse »

Un lac un peu trop propre par certains côtés. Même s’il me rappellera que les communes y déversent les eaux pluviales concentrées en hydrocarbures !

C’est pour ça qu’il faut pisser dans le lac... Bon à la condition de ne prendre aucun traitement hormonal, ou autres perturbateurs endocriniens, sans quoi nous majorerions la pollution dans ce dernier...

« J’aimerais rajouter qu’à cause de ce déficit en sel minéraux, lié au fait que l’on ai un lac hyper pur, sans eaux usées, sans épandage qui arrivent dans l’eau du lac, bah y a quand même des espèces qui ont disparus quoi... Ablette... Le Brai y en a presque plus, le stock des poissons blancs est beaucoup plus faible qu’avant. »

Voilà quelques années que nous sommes en déficits hydriques... Car nous utilisons plus d’eau que la nature n’en capte, pour recharger les lacs, les rivières, pour l’agriculture aussi.

Les nappes à inertie lente se rechargent très lentement. Au goutte à goutte, par capillarité, par engorgement d’un sol détrempé par des semaines et des semaines de pluie ininterrompue. Les pluies de recharge !

Voilà des années qu’il n’a pas plu durant les saisons d’automne et d’hiver.

Il nous reste jusqu’à la mi-mars pour recharger les aquifères. Car alors d’ici quelques semaines, la nature va s’éveiller pleinement et la végétation va puiser dans les sols humides. Il n’y aura plus aucune possibilité pour les nappes de se recharger.

Le capital pour l’été sera déjà à sec, il ne restera qu’à espérer récolter les eaux de ruissellement, temporaires et aléatoires.

« C’est hyper inquiétant, ça va créer des conflits d’usage entre les agriculteurs, l’eau potables, les centrales nucléaire, les marais, les rivières...

Sans compter qu’on a considérablement appauvri et asséché environ quatre-vingt pour cent de nos zones humides. »

Les fameuses zones humides...

Mon île est visitée depuis deux semaines par les monchus en vacances. Ceux venus pour avaler des kilomètres de pistes enneigées sous un soleil printanier, en Février!

Pas sûr qu’ils se posent de question quant au manque de précipitations, à la chaleur bien trop excessives de ces dernières semaines.

Pour nous, locaux, c’est un questionnement quotidien. Nous retournons la problématique dans tous les sens, à chaque saison, pour chercher ou se situe la bonne attitude à adopter. Nous ne sommes pas toujours d’accords, mais nous avons en revanche tous ce même point commun.

Un amour profond pour le lieu dans lequel nous vivons. Pour nos montagnes, nos lacs, nos rivières.





Dimanche 26 février, toujours plage d’Albiny, toujours accompagnée de Cécile.

0 degrés avec un ressenti négatif. Les eaux chutent à 5 degrés.

Le tour de bouée jaune se fait dans une eau agitée et glacée.

Aujourd’hui il n’y a pas âme qui vive sur la plage. Seul le gyrophare silencieux de la plage de Saint-jorioz salut notre obstination à nous immerger par une météo si tempétueuse.

Les températures de l’eau se sont de nouveaux effondrées sous l’effet du vent du nord, cinglant et glacial.

Malgré la situation météorologique, Nous éprouvons beaucoup de plaisir à nous élancer à l’assaut de la bouée acceptant que les eaux chahutent notre brasse fragile. Il ne me faut gère plus de quelques minutes pour sentir l’anesthésie me gagner. Pour barboter dans les eaux agitées. Nous pénétrons alors pour quelques instants de répits le cœur du cyclone, le calme intense ou nos corps flottent béats dans les eaux tumultueuses.

Nous savons l’une comme l’autre ; Dès lors que nous allons sortir nos corps des vagues, le compte à rebours de l’onglée et des frissons va s’activer. Alors nous rampons jusqu’au bord tel un commando spécial en mission d’infiltration, retardant au maximum l’exfiltration des corps que l’on protège.

Car sortir de l'eau signifie s'exposer à un milieu aérien qui lui aussi est hostile aujourd’hui. Le vent fouette nos corps rougis. Nos extrémités blanchissent à vue d’œil. Le rhabillage est une course contre la montre quasi silencieuse ou les doigts engourdis et malhabiles peine à enfiler une chaussette, une culotte. Ou le moindre tissu même le plus soyeux râpe l’épiderme.

Je garderais donc entre mes orteils le sable collant de cette plage pour le reste de la journée.

L’immersion fut une épreuve aujourd’hui. Nos corps peineront à se réchauffer. Les stratégies quotidienne et habituellement si efficace pour emmagasiner de l’énergie, se révèleront parfaitement infructueuses cette après-midi. A l’image de nos doigts crispés autour de nos tasses brulantes cherchant à avaler la moindre calorie, et des frissons redoublant d’intensité au fur et à mesure que le breuvage se refroidissait.

La nature possède le talent de se caler sur nos besoins. De venir imposer à notre corps à notre esprit ce qui lui est indispensable dans l’instant.

Là, elle est venue balayer avec force et violence les stigmates d’une semaine éprouvante pour chacune. La douceur d’un rayon de soleil n’aurait pas suffi à décoller les résidus que l’anxiété, la colère, l’injustice avaient déposé sur nos corps.

Pour cela il fallait la morsure acérée d’un vent sibérien, d’une eau glaciale.

Dans l’instant l’attaque surprends, paralyse. Elle n’est pas comprise. Nous sommes restées un peut hébétée, presque déçue de ne pas ressentir les effets habituels de cette promenade de santé. Nous nous sommes quittées arasées et grelottantes sous de discrets flocons virevoltants dans le ciel laiteux.


Allongée dans l’obscurité je vois défiler les images d’un film inhabituel. Une agitation de mon mental ramenant à ma conscience des émotions refoulées. Un scénario qui ne m’appartient pas, qui probablement n’existe même pas. Je crois que je me suis endormie là-dessus. Un sommeil réparateur, et profond qui se chargera probablement de finir de nettoyer ce que le vent avait décollé. De finir de faire disparaitre les fantasmes inutiles, les histoires mensongères.


A suivre...

 
 
 

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